Page:Mercure de France - 1er juillet 1914, tome 110, n° 409.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs, la vie. Ailleurs, c’est-à-dire dans les environs du village ; et si vous étiez monté par exemple en haut du clocher, ce désert vous aurait fait peur. Toute neige maintenant avait disparu, mais ce qu’elle avait découvert en se retirant était plus morne encore, plus aride, plus désolé. Au lieu du revêtement vert et cette jolie peinture de banc de jardin qui se voit d’habitude de haut en bas les pentes, avec l’émaillage dessus des primevères en touffes, des crocus et des anémones, il y avait partout des traînées de gravier, la terre était fendue, retournée, crevassée (quelle charrue avait passé par là ?) et des arbres, les racines en l’air, semblaient faire la pièce droite. L’étang, à sec depuis peu (parce que les écluses avaient fini par céder), montrait son fond de vase craquelée, comme la faïence d’une vieille assiette qu’on a laissée trop longtemps sur le feu, tandis que grouillaient dans les flaques des milliers et des milliers de crapauds. Leur cri seul s’entendait parfois, avec le cri des corbeaux qui passaient et d’autres oiseaux d’espèce vorace, qu’avaient attirés les odeurs. Car ça et là on commençait de voir des cadavres ; fouillés par tous ces becs, revêtus de tant d’ailes, ils paraissaient bouger et où ils étaient le matin, rien ne subsistait plus le soir qu’un petit tas d’ossements que l’air blanchissait peu à peu. D’autres vols cependant s’abattaient plus loin, d’autres remontaient brusquement qu’un bruit sans doute effarouchait, et la grande lumière revenue, avec les chauds rayons d’avril (quand d’ordinaire aux buissons épineux les premières pousses vertes se montrent, comme si des griffes leur poussaient et les boutons à fleurs de l’églantier commencent à s’épanouir), plus lugubrement, la grande lumière accentuait l’horreur de tout. Et le vide de tout aussi. Nom seulement celui des rues, mais aussi celui de ces champs, quoique si animés, comme on sait, en cette saison, qui est la saison des semailles, des barrières à réparer, des premiers blés qui sortent et qu’on va herser ou qu’on roule ; saison des petites filles aussi qui s’en vont faire des bouquets ; et les amoureux, le dimanche soir, commencent à sortir ensemble. Partout ça remue sur les pentes : on va, on se croit seul, une tête se lève derrière une haie : on pousse plus loin dans les bois, tout à coup un homme paraît, avec une charrette attelée d’une vache ; où qu’on aille ; tout est au travail. Et maintenant plus rien du tout. Là-bas dans la plaine, à droite et à gauche, et en face de