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ces détonations venaient. Les plus belles forêts furent mises à rien. Même elles ne furent point partout une protection suffisante et, quelques-unes percées de part en part, la dévastation se portait plus bas. Qu’est-ce que c’est alors que nos pauvres chalets ? moins que la batte du froment quand on souffle au creux de sa main. Qu’est-ce que c’est que nos pauvres petits champs ensemencés avec tant de peine ? cette étrille passe dessus, ils sont mis à nu jusqu’au roc. Nos petits étages de murs, voilà que la pente trop raide où on les avait établis est de nouveau lisse et à nu, et il n’y a plus de chemins qui tiennent, coupés qu’ils ont été en tronçons comme un cadavre de serpent.

Ravinements, éboulements, débordements, il faillait voir l’état dans lequel était le village. Le grand étang, qui sert à l’irrigation et qui se trouve plus en arrière, s’était déversé par les rues et il avait tout ravagé. Dans beaucoup de maisons on ne pouvait plus descendre à la cave, beaucoup de cuisines étaient pleines d’eau. De grosses pierres déchaussées se laissaient voir, faisant relief, au flanc de fossés tortueux, partout où la pente était assez forte ; là où le sol allait à plat, des petits lacs s’étaient formés. Certains des toits ne s’étaient pas trouvés assez solides, pour supporter le poids accru de la neige qui les couvrait, quand elle s’était mise à fondre ; ils penchaient bizarrement, ces toits-là. D’autres étaient percés comme des passoires. Des murs, glissant d’un seul bloc, y compris leurs fondations, avaient été transportés beaucoup plus loin, et ils gardaient leur aspect d’autrefois, mais ils ne servaient plus à rien. Le bassin de la fontaine, s’étant fendu, était à sec. Mais le plus étonnant encore, parmi cette désolation, était l’absence de tout être vivant. ; pas même le petit chat qui se glisse, allongeant les pattes sous la porte d’une grange, la poule qui penche la tête et sa crête lui pend sur l’œil, le maigre chien qui va furetant dans les tas d’ordures ; — rien, pas un homme, pas une bête. On connaissait pourtant à certains signes que le village n’était pas abandonné ; de temps en temps une fumée montait, un rideau était écarté ; quand on prêtait l’oreille, ou entendait toujours des soupirs et des plaintes venir de dedans les maisons, enfin devant les portes s’entassaient des débris, de toute sorte qu’on jetait et ils commençaient à sentir. Mais, ces choses mises à part, rien n’indiquait plus là, ni ail-