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met, puis venait le sommet lui-même, et là rien que la croix dressée, qui était le lieu qu’il fallait gagner. Il venait Marie-Madeleine ; il venait la fine poussière des petites notes du carillon. Et, ce qui à présent venait aussi, c’était le chant, timide encore, mais qui croissait en assurance, de ceux qui montaient à la croix. Demandes, appels, supplications : ne sommes-nous pas trois cents ensemble ? il faudra bien qu’on soit écouté. C’est ce qu’ils se disaient et montèrent encore. Le dais à présent se voyait, sous lequel marchait le curé, et le reste des Habits blancs (c’étaient les hommes) puis venaient des femmes qui tenaient le livre et lisaient dedans, d’autres qui donnaient la main à des enfants, des très vieux aussi, des très vieilles, puis des infirmes, des malades, et ceux qui pouvaient à peine marcher, et ceux qui avaient la tête bandée, et ceux qui se cachaient les mains. Tous ceux qui avaient pu venir étaient venus ; il m’y a plus à avoir honte devant Dieu, même de nos plaies. Cela se déroulait sur un très grand espace, de contour en contour, de lacet en lacet ; cela montait de plus en plus, le chant s’éloignait peu à peu ; seule retentissait avec le même éclat Marie-Madeleine l’annonciatrice, pendant que, messagères et d’un vol plus rapide, couraient, la précédant, ou tournaient autour d’elle les voix de ses petites sœurs.

On monte cependant, on monte, on monte encore. Par ci par là la neige était glissante et la croix qui allait en tête semblait hésiter un instant. Mais d’un mouvement brusque elle se dégageait, reprenant sa marche en avant. Et tout le reste la suivait, comme entraîné. La force n’est point derrière nous, mais devant ; on a à lever les yeux, non à les tourner en arrière. C’est en avant et c’est plus haut que soi ; ainsi un pas après l’autre est franchi, un étage après un étage. Et voilà qu’à présent un grand soleil était venu.

Le ciel, resté longtemps couvert, se fendit tout à coup dans toute sa longueur, ainsi qu’une étoffe trop mûre ; et on vit paraître un bleu presque noir, tellement il était profond.

Il y eut au ciel comme un fleuve, dans quoi peu à peu s’effondraient les rives, et il augmentait de largeur.

Il gagna sur la droite, il gagna sur la gauche, il s’étendait déjà de l’une à l’autre chaîne, les dernières vapeurs glissaient, s’effilochant, et il ne resta plus dans l’incroyable azur qu’une