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Elle prit du côté du couchant, où il y a une carrière, et vient ensuite un bois de pins. Tout chemin battu cessait là. Elle ne sut plus bien que faire. On vit qu’elle balançait entre continuer et revenir sur ses pas ; et elle s’était arrêtée, toute petite et toute mince, sous les gros flocons qui tombaient. Enfin elle se décida. Est-ce qu’il ne faut pas tout tenter, puisque j’ai mon fils et que peut-être une chance me reste ? puis le cœur vous faiblit quand même, lorsque ce grand vide se présente à vous. Encore essayer, on se dit : et ensuite on verra ce qu’il vous reste à faire. Elle s’en retourna donc au village, le soir commençait à tomber. Elle écouta, on chantait dans l’auberge. Elle leva les yeux et regarda vers les fenêtres, elle vit que les contrevents étaient fermés. Elle s’approcha de la porte et la secoua des deux mains : la clef était tournée dans la serrure. Elle se dit : « Je vais quand même l’appeler. » Elle appela, on ne répondit point. Elle appela une seconde fois, on ne répondait toujours pas. Alors elle secoua la tête, on n’avait plus besoin d’elle, sans doute. Elle secoua la tête, puis descendit dans le village ; Mais les gens étaient tous rentrés. Quelques-uns, qui passaient encore, elle voulut aller à eux ; ils se hâtèrent davantage. Là non plus personne n’avait besoin d’elle. On entendit le grincement des derniers verroux qu’on tirait. Elle pensa à son foyer sans feu et à sa corbeille à pain vide : cette fois elle n’hésitait plus. Elle reprit le chemin. Et repassa sous la carrière. Et il y eut le bois de pins. Mais résolument maintenant elle s’avançait dans la neige ; il semblait que ses forces lui eussent été rendues. Elle pensait : « J’irai aussi longtemps que je pourrai ; quand je ne pourrai plus, c’est que ce sera là. » Il faisait tout à fait nuit, elle se cognait au tronc des arbres. Elle glissait aussi et faillit tomber bien des fois ; mais qu’importe que je tombe ou non, que j’aille droit ou non, que j’aille vite ou lentement ? le lieu où je me rends tous les chemins y mènent, tous les chemins sont bons. Une espèce de grande indifférence peu à peu descendait sur elle ; une seule chose la préoccupait encore : « Pourquoi m’a-t-il guérie, se disait-elle, puisqu’il devait en être ainsi ? » Et elle se répétait : « Mon Dieu, pourquoi m’a-t-il guérie ? » Et, longtemps encore, elle alla.

Mais la pente devenait de plus en plus escarpée, la neige de plus en plus épaisse, la nuit de plus en plus obscure, le froid