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MERCURE DE FRANCE—i-xii-1918

école que ce soit, car il ne veut pas être une école, mais un des grands courants de la littérature englobant toutes les écoles, depuis le symbolisme et le naturisme. Il lutte pour le rétablissement de l’esprit d’initiative, pour la claire compréhension de son temps et pour ouvrir des vues nouvelles sur l’univers extérieur et intérieur qui ne soient point inférieures à celles que les savants de toutes catégories découvrent chaque jour et dont ils tirent des merveilles.

Les merveilles nous imposent le devoir de ne pas laisser l’imagination et la subtilité poétique derrière celle des artisans qui améliorent une machine. Déjà, la langue scientifique est en désaccord profond avec celle des poètes. C’est un état de choses insupportable. Les mathématiciens ont le droit de dire que leurs rêves, leurs préoccupations dépassent souvent de cent coudées les imaginations rampantes des poètes. C’est aux poètes à décider s’ils ne veulent point entrer résolument dans l’esprit nouveau, hors duquel il ne reste d’ouvertes que trois portes : celle des pastiches, celle de la satire et celle de la lamentation, si sublime soit-elle.

Peut-on forcer la poésie à se cantonner hors de ce qui l’entoure, à méconnaître la magnifique exubérance de vie que les hommes par leur activité ajoutent à la nature et qui permet de machiner le monde de la façon la plus incroyable ?

L’esprit nouveau est celui du temps même où nous vivons. Un temps fertile en surprises. Les poètes veulent dompter la prophétie, cette ardente cavale que l’on n’a jamais maîtrisée.

Ils veulent enfin, un jour, machiner la poésie comme on a machiné le monde. Ils veulent être les premiers à fournir un lyrisme tout neuf à ces nouveaux moyens d’expression qui ajoutent à l’art le mouvement et qui sont le phonographe et le cinéma. Ils n’en sont encore qu’à la période des incunables. Mais attendez, les prodiges parleront d’eux-mêmes et l’esprit nouveau, qui gonfle de vie l’univers, se manifestera formidablement dans les lettres, dans les arts et dans toutes les choses que l’on connaisse.

GUILLAUME APOLLINAIRE.