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L’ESPRIT NOUVEAU ET LES POÈTES

Les Français portent la poésie à tous les peuples.

En Italie, où l’exemple de la poésie française a donné l’essor à une jeune école nationale superbe d’audace et de patriotisme.

En Angleterre, dont le lyrisme s’était affadi et pour ainsi dire épuisé.

En Espagne et surtout dans la Catalogne, où toute une jeunesse ardente, qui a déjà produit des peintres qui honorent les deux nations, suit avec attention les productions de nos poètes.

En Russie, où l’imitation du lyrisme français à parfois donné lieu à la surenchère, ce qui n’étonnera personne.

À l’Amérique latine, où les jeunes poètes commentent avec passion leurs devanciers français.

À l’Amérique du Nord, à laquelle, en reconnaissance d’Edgard Poe et de Walt Whitman, des missionnaires français apportent pendant la guerre l’élément fécondateur destiné à amener une production nouvelle dont nous n’avons pas encore idée, mais qui sans doute ne sera pas inférieure à ces grands pionniers de la poésie.

La France est pleine d’écoles où se garde et se transmet le lyrisme, de groupements où s’apprend l’audace ; cependant une remarque s’impose : une poésie se doit tout d’abord au peuple dans la langue duquel elle s’exprime.

Les écoles poétiques, avant de se jeter dans les héroïques aventures des apostolats lointains, doivent opérer, assurer, préciser, augmenter, immortaliser, chanter la grandeur du pays qui leur a donné naissance, du pays qui les a nourries et les a formées, pour ainsi dire, de ce qu’il y a de plus sain, de plus pur et de meilleur dans son sang et dans sa substance.

La poésie française moderne a-t-elle fait pour la France tout ce qu’elle pourrait faire ?

A-t-elle du moins été toujours, en France, aussi active, aussi zélée qu’elle l’a été ailleurs ?

Ces questions, l’histoire littéraire contemporaine suffit à les suggérer, et pour les résoudre il faudrait pouvoir supputer tout ce que l’esprit nouveau porte en lui de national et de fécond.

L’esprit nouveau est avant tout ennemi de l’esthétisme, des formules et de tout snobisme. Il ne lutte point contre quelque