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MERCURE DE FRANCE—i-xii-1918

l’expérience, qui nous ont amenés à n’accepter les choses et les sentiments que selon la vérité, et c’est selon la vérité que nous les admettons, ne cherchant point à rendre sublime ce qui naturellement est ridicule ou réciproquement. Et de ces vérités il résulte le plus souvent la surprise, puisqu’elles vont contre l’opinion communément admise. Beaucoup de ces vérités n’avaient pas été examinées. Il suffit de les dévoiler pour causer une surprise.

On peut également exprimer une vérité supposée qui cause la surprise, parce qu’on n’avait point encore osé la présenter. Mais une vérité supposée n’a point contre elle le bon sens, sans quoi elle ne serait plus la vérité, même supposée. C’est ainsi que si j’imagine que, les femmes ne faisant point d’enfants, les hommes pourraient en faire et que je le montre, j’exprime une vérité littéraire qui ne pourra être qualifiée de fable que hors de la littérature, et je détermine la surprise. Mais ma vérité supposée n’est pas plus extraordinaire, ni plus invraisemblable que celles des Grecs, qui montraient Minerve sortant armée de la tête de Jupiter.

Tant que les avions ne peuplaient pas le ciel, la fable d’Icare n’était qu’une vérité supposée. Aujourd’hui ce n’est plus une fable. Et nos inventeurs nous ont accoutumés à des prodiges plus grands que celui qui consisterait à déléguer aux hommes la fonction qu’ont les femmes de faire des enfants. Je dirai plus, les fables s’étant pour la plupart réalisées et au delà c’est au poète d’en imaginer des nouvelles que les inventeurs puissent à leur tour réaliser.

L’esprit nouveau exige qu’on se donne de ces tâches prophétiques. C’est pourquoi vous trouverez trace de prophétie dans la plupart des ouvrages conçus d’après l’esprit nouveau. Les jeux divins de la vie et de l’imagination donnent carrière à une activité poétique toute nouvelle.

C’est que poésie et création ne sont qu’une même chose ; on ne doit appeler poète que celui qui invente, celui qui crée, dans la mesure où l’homme peut créer. Le poète est celui qui découvre de nouvelles joies, fussent-elles pénibles à supporter. On peut être poète dans tous les domaines : il suffit que l’on soit aventureux et que l’on aille à la découverte.

Le domaine le plus riche, le moins connu, celui dont l’étendue est infinie, étant l’imagination, il n’est pas étonnant que