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MERCURE DE FRANCE—i-xii-1918

ciente d’elle-même. C’est que, jusqu’à maintenant, le domaine littéraire était circonscrit dans d’étroites limites. On écrivait en prose ou l’on écrivait en vers. En ce qui concerne la prose, des règles grammaticales en fixaient la forme.

Pour ce qui est de la Poésie, la versification rimée en était la loi unique, qui subissait des assauts périodiques, mais que rien n’entamait.

Le vers libre donna un libre essor au lyrisme ; mais il n’était qu’une étape des explorations qu’on pouvait faire dans le domaine de la forme.

Les recherches dans la forme ont repris désormais une grande importance. Elle est légitime.

Comment cette recherche n’intéresserait-elle pas le poète, elle qui peut déterminer de nouvelles découvertes dans la pensée et dans le lyrisme ?

L’assonance, l’allitération, aussi bien que la rime sont des conventions qui chacune a ses mérites.

Les artifices typographiques poussés très loin avec une grande audace ont l’avantage de faire naître un lyrisme visuel qui était presque inconnu avant notre époque. Ces artifices peuvent aller très loin encore et consommer la synthèse des arts, de la musique, de la peinture et de la littérature.

Il n’y a là qu’une recherche pour aboutir à de nouvelles expressions parfaitement légitimes.

Qui oserait dire que les exercices de rhétorique, les variations sur le thème de : Je meurs de soif auprès de la fontaine n’ont pas eu une influence déterminante sur le génie de Villon ? Qui oserait dire que les recherches de forme des rhétoriqueurs et de l’école marotique n’ont pas servi à épurer le goût français jusqu’à sa parfaite floraison du XVIIe siècle ?

Il eût été étrange qu’à une époque où l’art populaire par excellence, le cinéma, est un livre d’images, les poètes n’eussent pas essayé de composer des images pour les esprits méditatifs et plus raffinés qui ne se contentent point des imaginations grossières des fabricants de films. Ceux-ci se raffineront, et l’on peut prévoir le jour où le phonographe et le cinéma étant devenus les seules formes d’impression en usage, les poètes auront une liberté inconnue jusqu’à présent.

Qu’on ne s’étonne point si, avec les seuls moyens dont ils disposent encore, ils s’efforcent de se préparer à cet art nouveau