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MERCVRE DE FRANCE—15-III-1923

différentes. Le rapprochement forcé que l’on veut établir entre elles n’est bon que pour les livres élémentaires chargés de donner aux enfants les idées fausses que, faussement, hypocritement, on croit nécessaires à leur bonheur.

Mais de tous les rapprochements injustifiés, le plus absurde, sinon le plus criminel, est celui que l’on s’obstine à établir entre la mathématique et la philosophie.

Certains mathématiciens, éminents dans leur partie, ont prétendu être philosophes. On les a crus, bien que la philosophie fût tout au plus leur violon d’Ingres. Mais il y a bien plus de gens capables d’apprécier, plus ou moins, un violoniste médiocre qu’un mathématicien, quel qu’il soit.

Il n’en reste pas moins vrai que la forme d’intelligence qui se satisfait par les calculs mathématiques n’a rien à voir avec celle d’où procède la philosophie. Le raisonnement mathématique est a priori. Il part de l’axiome et de la définition. La philosophie est une science inductive, qui doit partir de l’observation, pour arriver à des idées générales. C’est le contraire, exactement.

Un poète peut être philosophe, la véritable poésie étant plus large que tout. Platon fut poète et philosophe. L’exemple du latin Lucrèce est dans toutes les mémoires. Et les conceptions des premiers philosophes grecs ne sont-elles pas d’une grande poésie ? Mais il y a, ce nous semble, une antinomie véritable entre la philosophie, d’une part, et d’autre part la mathématique ou la théologie, l’une et l’autre de ces deux dernières partant de définitions et d’affirmations absolues.

Quoi de plus absurde que les raisonnements de Cudworth, homme d’Église, cherchant anxieusement comment l’âme, substance spirituelle, peut agir sur le corps matériel, avec lequel elle n’a aucun point de contact ? Il en est réduit à inventer son médiateur plastique, à la fois corps et esprit, qui par sa partie spirituelle reçoit les impressions de l’âme, et par sa partie matérielle les transmet au corps. Mais il oublie de nous dire comment s’établit le contact, la difficulté