Page:Mercure de France - 1923-03-15, tome 162, n° 594.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
MERCURE DE FRANCE — 5-III-1923


MATHÉMATIQUE ET PHILOSOPHIE
CONSIDÉRATIONS D’UN HUMORISTE

C’est Théophile Gautier, je crois, qui l’a dit. Sur vingt personnes qui ont pénétré dans une chambre, il n’y en a pas deux qui, une fois hors, puissent indiquer la couleur de la tapisserie. Cela veut dire que deux personnes à peine, sur vingt, ont la mémoire des couleurs. D’autres ont la mémoire des chiffres, des dates, ce qui est utile pour connaître l’histoire ou les sciences exactes. D’autres, la mémoire des idées. Il y a donc diverses sortes de mémoire, et il est indispensable de préciser, lorsque l’on se sert de ce mot. À moins qu’il ne s’agisse de l’homme extraordinaire, irréel, qui se souviendrait de tout.

Mais la mémoire n’est qu’une partie de l’intelligence. À plus forte raison, ce que nous venons d’énoncer est-il vrai de l’entendement. Dire d’un homme qu’il est intelligent, cela ne signifie rien. Tel peut déployer une activité pleine de subtilité dans les affaires et être absolument fermé à la poésie. Un mathématicien éminent sera complètement stupide si on lui demande de s’occuper de politique. Ce sont là des vérités évidentes. Il n’y a personne qui n’en soit d’accord en principe. Et cependant, en pratique, le jugement populaire accepte d’étranges confusions.

Il ne s’agit pas ici de comparer des choses différentes, les aptitudes par exemple d’un peintre, et celles d’un économiste. Mais la tendance fâcheuse est de confondre certaines manifestations intellectuelles qui, pour un examinateur superficiel, paraissent sur le même plan, comme les étoiles lointaines. C’est ainsi que la mathématique et la phi-