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« Vous n’aimez pas les sots. Ne vous en occupez pas !

— « Par exemple, je ne m’occupe que d’eux pour en avoir plus d’horreur et pour savourer cette horreur dans toute l’étendue qu’elle peut avoir. » D’un poème ennuyeux, J.-B. Rousseau disait : « Rendons-le court, en ne le lisant point. » Flaubert l’aurait lu en l’épelant pour le trouver plus long et avoir matière à le maudire, davantage.

Reprenant la copie, Bouvard et Pécuchet reviennent à leur seconde nature. Mais « ils s’attristent maintenant des choses même insignifiantes ». Comme Flaubert, dont ils sont décidément un reflet caricatural et très déformé, mais quand même un reflet — n’a-t-on pas vu dans l’amitié des deux « bonshommes » une charge de la fraternité littéraire de Flaubert et de Bouilhet ? — Comme Flaubert, ils vont s’amuser à chercher parmi les livres les stupidités et les bizarreries — les « bourdes » — dont ils vont composer tout un recueil.

C’est bien en vue de satisfaire ce besoin pervers de rechercher la bêtise —— tout en sachant que sa découverte leur procurera des « charmes atroces » — qu’ils se mettent à la tâche. Car s’il en était autrement, s’ils copiaient naïvement ces passages stupides, parce que ceux-là seuls leur semblent dignes d’être admirés, — s’ils faisaient un sottisier croyant faire une anthologie, — il y aurait une contradiction formelle entre cette admiration de la bêtise et le fait que leur esprit s’est affiné. On ne comprendrait plus pourquoi Flaubert aurait pris si grand soin de noter que leur développement intellectuel leur donne de nouveaux motifs de souffrir…

Ensuite, on pourrait se demander pourquoi de pareils imbéciles, pour qui la bêtise seule serait admirable, feraient leur lecture coutumière d’ouvrages aussi sérieux. Car, ne l’oublions pas, les citations de l’album sont tirées de préférence des meilleurs auteurs. (Ici l’on retrouve encore en Bouvard et Pécuchet un trait du bon Flaubert et sa joie devant la découverte « hénaurrrme ! » ) Maupassant, dont le témoignage confirme celui d’Edmond Laporte, et me semble au surplus, irrécusable, le dit formellement : « Ce surprenant édifice de science, bâti pour démontrer l’impuissance humaine, devait avoir un couronnement, une conclusion, une justification éclatante. Après ce réquisitoire formidable, l’auteur avait entassé une foudroyante