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le cou d’une bouteille, parce qu’elle avait brûlé tout entière, le verre éclata avec bruit ; et le vin répandu tombait goutte à goutte des tables.

Et les autres râlaient, là-bas, dans leurs maisons. On va, on tourne ce chemin ; on prend à droite, on prend à gauche : où que vous alliez, c’est pareil. Il y avait seulement un petit âne qui, ayant réussi à s’échapper de l’écurie, se roulait sur la terre sèche, le ventre en l’air. C’est que peu de chose suffit aux ânes, une touffe de pissenlit, une tige de chardon ; et il allait ainsi, n’ayant plus rien à faire de toute la journée, heureux de n’avoir rien à faire, et en même temps étonné. Parfois, découvrant ses longues dents jaunes, on le voyait tendre le cou vers une touffe d’herbe sèche qu’il découvrait au coin d’un mur ; d’autres fois, comme inquiet, il se mettait à braire, et seul, l’écho, très loin, dans le vide de l’air, lui renvoyait son cri.

La matinée, cependant, s’avançait ; c’était le moment où, comme on a vu, Marie venait d’arriver au-dessus du village, et elle n’avait pas compris du tout. Mais elle avait continué quand même. Et sa tante l’avait appelée, mais elle avait continué. El d’autres personnes maintenant venaient, qui n’osaient point sortir, ni même ouvrir leur porte, mais entrebâillant leur croisée : « Eh ? Marie, tu es folle, qu’est-ce que tu fais ? »

Elle ne semblait pas entendre ; tout au plus, par moment, fermait-elle les yeux quand c’était trop horrible à voir, ou bien s’écartait brusquement, grimpant sur un tas de cailloux. Elle fut bientôt au bout de la rue. Le clocher qui penchait sortit entre les toits crevés. Et au tournant, la chose vint, qui était la place, les tables, et tous ces gens qui dormaient là.

Justement Labre s’éveillait ; ce fut lui qui la vit le premier.

— Eh ! cria-t-il, c’est la Marie. Est-ce que tu viens chercher ton papa ?

Il se mit lentement assis, s’appuyant des deux mains sur le pavé derrière lui, et sa tête au bout de son cou se balançait, mal attachée. Il avait les yeux rouges, le regard pas assuré. Comme il ouvrait la bouche, on vit ses dents, qui étaient gâtées. Et étant parvenu, pour finir, à s’asseoir, les bras ramenés sur ses jambes :