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tre retournée, changée en statue de sel. De même le village, à présent, devant elle ; et la même odeur de soufre et de mort se faisait sentir. La seule différence était que le village restait debout, mais il n’en valait guère mieux : des toits serrés l’un contre l’autre pas un ne subsistait intact. Crevés, dégarnis d’en dessus, ou déchiquetés sur leurs bords, ou bien comme prêts à tomber, ils paraissaient ne plus avoir depuis bien longtemps abrité des hommes. Marie se tourna vers l’église : le clocher penchait tellement qu’on se demandait comment il était encore debout ; non loin de là, une maison brûlait. Mais, à part la fumée et aussi les corbeaux, rien ne bougeait au ciel, ni en bas sur la terre. Pas même les autres petites fumées, qui font plaisir celles-là, qu’on voit monter des cheminées quand midi approche (et on approchait de midi) ; pas un bruit d’eau, la moindre voix, et plus un oiseau dans les airs, et plus une bête sur terre. Elle eut quand même peur, la petite Marie : qui est-ce qui n’aurait pas eu peur ? Mais elle se raidit toute, serrant ses petits poings contre elle, qui devinrent blancs d’être ainsi serrés, et remontant le ressort de son cœur : « Il faut que j’aille quand même, se dit-elle, puisque maman compte sur moi. ».

Ce fut tout, et déjà elle était repartie. Le soleil lourdement donnait et ses rayons brûlaient comme des plaques de métal. De temps en temps, l’air, déplacé par une bouffée qui venait, lui soufflait au visage une mauvaise haleine. Elle vit au pied d’une haie sans feuilles des traces de feu. Et tout à coup, comme elle descendait, quelque chose se mit à bouger devant elle, qui était des milliers de mouches, lesquelles s’envolèrent, quand elle s’approcha, avec un bruit sourd de cloche qu’on frôle, parce qu’il y avait là un cadavre de bête, et ce devait Être un mulet, mais on ne savait plus bien, tellement il était gonflé, et la peau s’était crevée et par un large trou les entrailles coulaient. Elle avait détourné la tête, mais venait déjà un second cadavre, puis des ossements répandus ; un chien s’enfuit, elle crut du moins que c’était un chien ; ce n’était pas un chien, c’était un renard.

Elle s’approchait des premières maisons ; il y eut alors d’abord un chapeau ; à quelques pas de là, venaient des habits vides ; elle les poussa du pied, pensant que quelqu’un les avait perdus ; elle sentit dedans quelque chose de dur. C’é-