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était qu’il lui fallait arriver le plus vite possible au village ; elle se glissa par un de ces trous. Il n’y avait plus de chemin. Tantôt elle écartait les branches des deux mains, tantôt elle se mettait à quatre pattes, ou bien il lui fallait faire un détour ; l’essentiel était qu’elle avançât quand même, et elle avançait malgré tout. Elle parvint ainsi à un endroit où il y avait autrefois un moulin ; il n’en restait plus que les ruines ; la grosse roue moussue était tombée dans le torrent sans eau. Et, ne comprenant point, elle se demandait : « Est-ce un orage qu’il y a eu, une inondation qu’il y a eu ? ou bien si le meunier est mort et ses enfants n’ont pas voulu continuer le métier du père ? » Elle ne savait pas : elle ne savait rien que ce que lui montraient ses yeux. Et donc, tout ce qu’elle savait était l’épouvantable basculement de tout, comme si tout avait changé de place, et quel affreux désert c’était. Cependant elle avait retrouvé le chemin, étant sortie de l’épaisseur des arbres ; sans doute que le torrent qui faisait tourner le moulin l’avait dû choisir pour son nouveau lit, puis il avait été ailleurs ; ce n’était plus qu’une ravine, pleine de cailloux ronds qui roulaient sous vos pieds. Il tourna tout à coup : on arrivait ainsi en haut de la dernière pente au bas de laquelle était le village ; et ce qu’elle aperçut fit qu’elle eut peine alors à retenir un cri.

C’est ces choses qu’on a déjà vues, mais, elle, elle ne savait rien. Plus de haies, plus un brin d’herbe. Il y avait cette cuvette au fond de laquelle autrefois se trouvait l’étang, et on voyait dedans le ciel, toutes les pentes d’alentour. Il passait, dedans des nuages blancs et c’était du blanc dans du bleu, avec d’un côté une bande verte, tandis que des petits buissons, frisottés comme quand on vous a mis dans les cheveux des papillotes, s’inclinaient dessus pour se regarder. Il n’y avait plus de buissons, plus d’étang, plus ce bleu dedans, plus ce vert ; il n’y avait plus rien que le jaune mat fendillé d’en bas et sur les pentes un gris partout pareil. Par place, le sol semblait avoir été miné, il y avait là comme des cassures ; ailleurs des crêtes, des arêtes qui étaient séparées par des fossés profonds ; et rien d’autre n’occupait l’œil que ce relief désordonné, parce que tout y était mort. Marie pensa à des passages de la Bible qu’on leur avait lus au catéchisme, lorsque les villes des méchants avaient été englouties, et, Sarah, pour s’ê-