Page:Mercure de France - 1914-07-16, tome 110, n° 410.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps én temps seulement, quand elles prêtaient l’oreille, venaient tout à coup jusqu’à elles comme les grondements d’un orage lointain, mais autour de la maison tout gardait son air ordinaire ; même le printemps s’annonçait très beau. Un grand soleil se mit à baigner dans le ciel, où un lait bleuâtre était répandu. Comme un vêtement se perce d’abord aux places où les os font relief, de même, partout où le sol présentait quelque aspérité, ce fut là qu’on vit paraître la terre, et cela fit des taches noires, dans le blanc qui fut moucheté. Le haut des talus se montra et le sommet des monticules autour de quoi la couche mince de la neige formait une croûte glacée où des gouttelettes brillaient. Les touffes des buissons, jusqu’alors ensevelies, levèrent comme des mains en l’air. Et, au dessous, au ras du sol, se creusant des petits tunnels, dont le creux sonnait sous le pied, l’eau par filets courait déjà, avec une chanson, des plaintes, une petite voix d’écolière qui lit, ou comme des grelots aussi, quand elle tombait en cascade. Chansons en bas, chansons en haut : voilà que des oiseaux reviennent. Depuis la forêt d’en dessous, où ils ont passé l’hiver blottis sous les branches, on en voyait qui remontaient d’un vol encore maladroit, et ils cherchaient les endroits nus. Il faisait de plus en plus chaud ; de plus en plus la neige s’en allait. Et voilà que, ces endroits nus, au commencement d’un noir triste ou d’un gris vert de feutre usé, et tout luisants sous le soleil (et, quand on marchait dessus, l’eau jaillissait autour de la semelle), ils se mirent subitement à changer de couleur, ils verdirent, il semblait qu’on eût passé dessus le pinceau, et soudainement tout fut vert. Il vient un parfum qui se roule, comme la génisse lâchée dans le pré ; c’est doux et tiède dans tout l’air ; l’espace balayé s’entr’ouvre, tout éclate, et la voix des eaux monte encore, comme si la montagne se mettait à parler.

Et à présent les fleurs venaient. Tout allait si rapidement qu’on était comme les enfants quand on les mène dans la chambre où sont préparés leurs cadeaux : on saute d’un objet à l’autre. On voudrait tout voir à la fois : ceci, cela, cela encore, pas moyen, il faut tout lâcher ; et tandis qu’on revient où on avait été d’abord, derrière vous les choses se transforment, en sorte que, pour finir, on ne s’y reconnaît plus. Véritablement, on ne s’y reconnaissait plus ; même ce vert des prés semble