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pondance de Flaubert, et c’est déjà un très vieux projet : « En attendant, écrit-il à Louise Colet, une vieille idée m’est revenue, à savoir celle de mon Dictionnaire des idées reçues. Sais-tu ce que c’est ?… Ce serait la glorification historique de tout ce qu’on approuve… On y trouverait par ordre alphabétique, sur tous les sujets possibles, ce qu’il faut dire en société pour être un homme convenable et aimable[1]. »

Cette « vieille idée » tire vraisemblablement son origine de la farce du « garçon » — ce personnage imaginaire conçu par Flaubert, le Poittevin et leurs amis, dès leur extrême jeunesse et qui, ne parlant que par idées reçues, débitait avec un rire niais toutes les inepties qu’on peut dire en toutes circonstances.

Mais il faut remarquer, en outre que, si Bouvard et Pécuchet se mettent à copier, ce fait semble bien exclure l’idée d’une rédaction personnelle. Or, comment « copier » les définitions d’un dictionnaire encore inédit ? Si Flaubert avait eu cette pensée, sans doute, lui si précis, et qui connaissait la valeur et le sens des mots, n’aurait pas écrit copier, mais rédiger. Après leur tentative de composer une histoire du duc d’Angoulême, Bouvard et Pécuchet, au surplus, en même temps qu’ils ont fait preuve de sens critique — puisque Bouvard juge le Duc un « imbécile » — ont pu se convaincre de leur inaptitude à ce genre de travaux ; il était donc-bien improbable que les deux amis entreprissent à nouveau de rédiger une œuvre d’aussi longue haleine.

Comme nous l’avions indiqué déjà, M. Descharmes et moi, dans une note de notre ouvrage Autour de Flaubert[2], c’est bien ailleurs qu’il faut chercher la copie de Bouvard et Pécuchet. Flaubert, à côté du Dictionnaire des Idées reçues, avait, dressé un sottisier, un album de phrases recueillies au cours de ses lectures, « pensées ridicules ou grotesques » glanées çà et là, copiées dans les œuvres des plus célèbres comme des plus obscurs écrivains, énormités, dit M. Ferrère, « que l’on peut toujours relever même chez les grands maîtres ».

Dans ce « parc aux huîtres », comme dit M. Descharmes, — Flaubert, aidé de ses amis Jules Duplan et Edmond Laporte,

  1. Correspondance de Flaubert, t. II, p. 184, Edition Conard. Voir aussi pp. 204 et 215.
  2. René Descharmes et René Dumesnil, Autour de Flaubert, II, p. 19 (Société du Mercure de France, 2 vol. 1912).