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partout que le second aurait été entièrement composé de citations, c’est-à-dire qu’il aurait emprunté sa matière à la copie faite par Bouvard et Pécuchet revenus à leur ancien métier. Cette opinion est née de l’interprétation abusive ou trop étroite d’une phrase de la Correspondance de Flaubert, que j’examinerai tout à l’heure.

M. Descharmes établit, par de solides arguments, que, contrairement à l’hypothèse généralement admise, et défendue par M. E.-L. Ferrère, ce n’est pas le Dictionnaire des Idées reçues qui devait former la matière de ce second volume.

La confusion est née de ce fait qu’après la mort de Flaubert on a trouvé sur sa table et parmi les documents utilisés déjà, ou devant être utilisés, pour Bouvard et Pécuchet, un fort dossier contenant les feuillets de ce dictionnaire. On en a conclu trop hâtivement qu’il constituait la « copie » des deux bonshommes, et cela d’autant mieux que le qualificatif a dossier delà bêtise humaine », appliqué par Flaubert lui-même à cette copie, convenait en vérité merveilleusement à ce dictionnaire[1].

Or, M. René Descharmes a confronté quantité d’articles du Dictionnaire des Idées reçues avec des phrases extraites non seulement des chapitres achevés de Bouvard et Pécuchet, mais encore de Madame Bovary et de l’Education sentimentale. Cette juxtaposition des textes, en même temps qu’elle montre l’ancienneté de cette documentation réunie par Flaubert, prouve aussi du même coup l’ancienneté de son utilisation, puisque, dès la préparation de Madame Bovary, qui embrasse les années 185i-1856, Flaubert y a recours. Ainsi, l’auteur n’aurait pu, sans se répéter lui-même, employer le Dictionnaire des Idées reçues aux fins qu’on lui suppose habituellement, puisque certains apophtegmes de M. Homais, de l’abbé Bournisien, d’Arnoux, d’Hussonet, de Sénécal et de tant d’autres de ses personnages, ne sont, en définitive, que des extraits ou des « illustrations » de ce dossier.

On en trouve d’ailleurs mention, des 1853, dans la Corres-

  1. Ce dossier a été donné récemment à la Bibliothèque de Rouen, par Mme Franklin-Grout, avec le manuscrit, les notes et les brouillons de Bouvard et Pécuchet, le « sottisier » dont il sera question plus loin, et le manuscrit de Madame Bovary. L’autorisation de travailler sur ces documents ne sera accordée qu’en 1930 — date où le cinquantième anniversaire de la mort de Flaubert fera tomber son œuvre dans le domaine public.