Page:Mercure de France - 1914-06-16, tome 109, n° 408.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des portes et écouter des balivernes ? Les journées sont toujours trop courtes maintenant.

C’est ainsi que quand dix heures sonnèrent, à peine si elle y put croire et pensa d’abord qu’elle se trompait. Pourtant le ménage était en ordre. Elle ôta son tablier, qu’elle pendit à un clou, puis elle alla vite faire sa toilette, parce qu’elle avait à sortir.

Le feu continuait de brûler sur le foyer ; on laissait la porte de la chambre ouverte ; de cette façon, toute la maison se chauffait, qui ne comptait d’ailleurs que ces deux pièces. Il faisait bon ; elle aurait bien voulu rester chez elle. Mais elle n’avait plus ni farine, ni sel.

Et, s’étant enveloppée dans un châle, ayant noué autour de sa tête un fichu de laine noire à bord brun, elle partit pour la boutique, l’autre, pas celle de Martin, parce qu’il avait fait faillite, comme on a vu. Il s’était mis à faire un grand soleil, où on voyait le chemin recouvert de neige gelée luire comme un chaudron bosselé ; partout bougeaient sur les barrières des petites flammes pointues, et les toits avaient une pente bleue, l’autre comme de l’argent. Le ciel était obscur parmi cet étincellement. Des gamins se battaient à coups de boules de neige, d’autres faisaient des glissades.

Elle vit qu’il y avait beaucoup de monde autour de la fontaine, et cela l’ennuya un peu, parce qu’on allait l’arrêter, mais elle s’était déjà trop avancée pour pouvoir rebrousser chemin. Elle continua donc, allant à petits pas, précautionneusement ; dès qu’elles l’aperçurent, les femmes qui étaient là coururent à sa rencontre. Et elles lui racontèrent que Lude s’était sauvé.

Là était la grande nouvelle qui tout le matin avait couru le village, d’où la raison de tout ce monde, et les femmes à présent entouraient Héloïse : pensez donc, il a disparu, sa femme le cherche partout ; et voilà que, par-dessus le marché, Criblet vient de nous expliquer pourquoi il a pris la fuite ; il paraît qu’il allait déplacer ses bornes la nuit. Criblet l’a vu, alors il a eu peur. Et Criblet prétend qu’il est possédé. Il paraît qu’il sentait le soufre !

Ainsi allaient et venaient les paroles ; — ce fut la journée des événements.

Mais, elle, parmi tout ce bruit, gardait son air de tous les jours. Notre raison de vivre est ailleurs. Elle ne voulait pas