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enveloppait le village, comme pour montrer à l’avance l’isolement où il allait entrer, ils revenaient par petits groupes, et arrivés devant chez eux, l’un après l’autre, courbant la tête, s’enfonçaient sous la porte basse comme la bête dans son trou…


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Pourtant ils ne pensaient pas que les choses iraient si vite. Quinze jours tout au plus passèrent et trois autres femmes, trois jours de suite, furent frappées de la même façon qu’Héloïse : les trois fois Branchu était là. Ce fut le grand coup qui ouvrit les yeux. Puis vint ce cinquième enfant.

Ils étaient une dizaine d’hommes arrêtés au bout de la rue, quand cette pauvre Herminie passa, et il se trouva qu’au même instant Branchu sortit de chez lui. Il semblait ne plus se cacher. Il se tourna vers Herminie. Il avait les mains dans ses poches et il souriait drôlement. Ils ont bien dit depuis que ses yeux avaient changé de couleur et une mauvaise expression lui était venue autour de la bouche. Ce qui est sûr, c’est que c’est juste dans le temps que son regard se posait sur Herminie qu’elle sentit cette douleur ; quelque chose se tordit en elle, et elle cria elle aussi, et elle leva les bras elle aussi, puis s’abattit comme pliée en deux, tandis que ses jambes fondaient sous ses jupes. L’autre se mit à rire (à ce qu’on raconte), et il dit tout haut (à ce qu’on raconte) : « C’est le cinquième, ça va bien !… »

L’étonnant est que les hommes n’eussent point pensé à se jeter sur lui, mais la rapidité de la chose fut telle qu’ils n’en eurent pas le temps, et, une fois qu’ils furent revenus de leur surprise, ils jugèrent que le plus pressé était d’aller porter secours à Herminie, qui se débattait sur le chemin.

En sorte que Branchu put disparaître tout à son aise et personne ne vit de quel côté il s’était dirigé. Mais déjà tout le village était en mouvement. Quatre hommes suffirent à emporter Herminie, les autres se mirent à courir de rue en rue, et ils s’arrêtaient à chaque porte, heurtant ou l’ouvrant toute grande et criaient : « Venez-vous ? » à quoi on répondait : « Qu’est-ce qu’il y a ? » mais eux étaient déjà repartis ; alors on se précipitait à leur suite. Le rassemblement se fit sur la place. Ils s’étaient armés de tout ce qui leur tombait sous la main, les uns avaient empoigné une fourche, d’autres un simple manche d’outil ; certains s’étaient munis de leur