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couronnes de perles, avec au milieu un verre bombé sous lequel on voit un bouquet, une inscription, deux mains qui se serrent. On suivit l’allée du milieu. Joseph marchait au premier rang. A ce moment déjà, on dut le soutenir. Mais quand le trou fut là, ce fut bien autre chose : deux hommes le prirent chacun sous un bras…

Est-ce qu’on est seulement entré à l’église ?… Il ne sait plus rien, il ne sent plus rien. Ils étaient deux hommes à le tenir chacun sous un bras, et lui flottait entre eux comme un arbre scié par la base. Tantôt il penchait tout entier de côté, tantôt il tombait en avant. Mais il était solidement tenu, en sorte qu’il assista à tout. Et il lui fallut assister à tout. Il vit descendre son passé, son espoir, sa raison de vivre ; mon Dieu ! est-ce possible, c’est mes entrailles qui s’en vont, c’est le cœur de mon cœur, c’est la pensée de ma pensée. C’est le meilleur de moi, la promesse de mieux encore ; elle était ma seule vendange, la vraie richesse de mon grenier. Un beau fruit avait mûri pour moi ; ris sont venus et ils l’ont retranché. Il se tordit tellement qu’on dut lui dire de se tenir tranquille, et cependant il s’était mis à plaindre, comme si on fouillait au-dedans de lui avec un couteau. Pauvre ! c’est Joseph Amphion : un enfant lui était promis, l’enfant est mort, sa femme est morte. Mais c’est aussi que maintenant il s’était mis à réfléchir, et il recommençait en lui : « Est-ce que j’ai toujours été bon pour elle ?… Est-ce que j’ai toujours été avec elle comme je lui avais juré d’être, lui ayant passé l’anneau au doigt, certain jour, et quand son visage se tournait vers moi, qui était un soleil pour moi… Et encore, ces derniers jours, quand elle se débattait dans son dit, et moi, injustement, je disais : « Ce n’est plus elle ! » peut-être que si j’étais venu et si je l’avais seulement embrassée, elle aurait été délivrée par l’opération de l’amour… Elle, elle m’aurait reconnu ; elle, elle m’aurait dit : « C’est toi ! » ô méilleure que moi, toute belle, et pourtant c’est toi qui t’en vas ! On a coupé le noyau de ma chair, on a ôté la bonne amande. » A ce moment, des mottes tombèrent sur la caisse, il poussa un cri, on l’emmena.

Et les autres s’en allèrent derrière lui, rentrant chez eux, mais ils n’étaient guère moins misérables. Ils ne disaient rien, ils n’auraient rien pu dire. La cloche s’était tue, un pesant silence régnait. Sous l’ombre du ciel qui pendait très bas, et