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vieux, la figure toute en plis, les oreilles très-écartées, il se contentait de bouger les lèvres, comme s’il lui fallait d’abord se préparer.

Enfin il dit : « Monsieur le curé, il faut que vous me pardonniez si je vous dérange, mais on aurait besoin de vous. Peut-être bien que vous savez. C’est que c’est un bien triste temps pour nous, monsieur le curé. On ne comprend plus ce qui arrive… Bien sûr qu’il y a eu des malheurs, mais enfin des malheurs il y en a toujours. Non, ce n’est pas tellement ça que quelque chose, comment dire ? comme une influence dans l’air, quelque chose qui serait sur nous… Quelque chose comme une mauvaise fièvre, mais une fièvre de la tête, qui fait que les bons deviennent mauvais et les mauvais pires encore. Et voilà que notre grand chalet des Entraigues a été emporté, voilà que les Esseries ont été détruites par le feu ; voilà qu’il meurt des hommes, des femmes, des enfants, comme jamais il n’en est mort ; voilà que toute sorte de maladies, qu’on n’explique pas, se déclarent… Mais ce n’est pas encore tellement ça, comme je vous ai dit, monsieur le curé… Tout ça c’est déjà du passé, et on en prendrait son parti. De quoi on a peur, c’est de l’avenir. Car tout n’est pas fini, sans doute… On est tous tombés d’accord là-dessus qu’il allait encore survenir des choses. Et on s’est demandé s’il n’y aurait peut-être pas un moyen, avec votre permission, monsieur le curé, et si vous vouliez bien nous donner un conseil…

Il n’alla pas plus loin : le curé depuis un moment ne le quittait plus du regard. Plus l’autre allait, plus il devenait rouge, et une veine se gonflait sur son front.

— Tout ça ne m’étonne pas ! dit-il.

Il donna un coup de poing sur la table. Il n’était plus rouge, il était violet.

— Ces morts, ces deuils, , ces maladies, que les maisons brûlent, que les bêtes crèvent, n’avez-vous pas tout mérité ?… Ah ! bien oui, par exemple, je vous conseille de vous plaindre ! (Il donna un second coup de poing sur la table.) Ne vous ai-je pas prévenus ? Des menteurs comme vous, des voleurs comme vous, des fornicateurs comme vous ! L’étonnant c’est que la punition ne soit pas plus terrible encore. Il faut que le bon Dieu soit patient : plus que moi ! Ça n’est pas des brebis que j’ai à paître, c’est des diables. Et quand un