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étages, qui s’appuyait d’un bout à l’église et dominait de l’autre une pente de prés très raide, terminée dans le bas par un profond ravin. Ce qui frappait le plus, c’était l’épaisseur des murs. Les escaliers voûtés étaient extrêmement larges. Comme il y avait beaucoup trop de chambres, la plupart ne servaient pas.

Le président dut monter au second, suivre un long vestibule dallé, arriva devant une porte capitonnée, dut tirer à lui tout d’abord cette porte ; alors on vit qu’il y en avait une autre en sapin, où il heurta et une voix dit : « Entrez. » Il y avait un fusil de chasse dans un coin. Il y avait une petite table avec dessus un journal déplié. Les meubles, un canapé, un fauteuil, trois ou quatre chaises, étaient recouverts de velours bleu, mais complètement fripés et crasseux, et quelques-uns crevés par place étaient comme piqués de petites touffes de crin. C’était triste, en désordre, il faisait assez sombre, vu les petites dimensions de la fenêtre ; et, s’ajoutant à la chaleur terrible, il y avait ensemble une odeur de vieille pipe et une odeur de renfermé.

Le président sentit que la tête lui tournait. Heureusement que le curé le fit asseoir.

C’était un grand, gros homme rouge, avec une bouche froncée, des cheveux noirs coupés ras sur le front, des épaules comme un lutteur, des yeux gris, des mains carrées ; il passait pour aimer par-dessus tout à braconner.

On voit beaucoup de gens se tromper ainsi sur leur vocation (à moins qu’ils ne l’aient pas choisie), mais, de toute façon, ils en sont mécontents : et par conséquent mécontents d’eux-mêmes, ce qui se passait pour notre curé. Et travaillé d’ailleurs par un sang inutile et une trop grosse santé, on ne le voyait guère que de mauvaise humeur, sauf les jours qu’il partait rôder dans les environs du village, ayant démonté son fusil qu’il emportait sous sa soutane, sauf aussi quand il recevait quelque visite de collègues, auquel cas il leur faisait faire un bon repas avec plusieurs viandes et toutes sortes de vins. Il s’était rassis à sa table, le président en face de lui.

— Alors, dit-il, qu’est-ce qui vous amène ?

Le président n’avait pas encore ouvert la bouche ; il n’ouvrit pas la bouche de sitôt. Le torse raide, les pieds joints sous sa chaise, son chapeau qu’il tenait à plat sur ses genoux,