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REVUE DU MOIS 551 le primitif de la peinture de mœurs. Ce pénétrant esprit, doué d’une lucidité et d’une précision admirables, d’un sens de la vie subtil et large, a fait couler dans ses livres un flot de pen- sées nouvelles, mais il a si complètement ignoré l’art, ce mys- tère qui différencie absolument le penseur de l’écrivain, qui donne aux œuvres une puissance presque surhumaine, qui met entre elles le charme inexprimable des proportions abso- lues et un souffle divin qui est l’âme des mots assemblés, il a tellement méconnu la toute-puissance du style qui est la forme inséparable de l’idée, et confondu l’emphase avec la langue artiste, qu’il demeure, malgré son génie, un romancier de second plan. » Et Guy de Maupassant de donner la préférence à Balzac : « Mais devant Balzac on ose à peine critiquer. Un croyant oserait-il reprocher à son dieu toutes les imperfections de l’univers ? » Ne nous en étonnons pas. Stendhal a méconnu la toute- puissance du style qui est la forme inséparable de l’idée. Or Maupassant est l’élève favori de Flaubert, — et, d’après l’ar- ticle même dont nous parlons, le maître est « doué d’un tem- pérament lyrique, nourri des classiques, épris de l’art litté- raire, du style et du rythme des phrases... C’est à Gustave Flaubert que l’on doit l’accouplement du style et de l’obser- vation modernes. » Mais achevons complètement l’analyse de l’Evolution du roman au XIXe siècle. C’est surtout depuis la publication de ‘Madame Bovary que nos écrivains ont la recherche passionnée de ce que l’on ap- pelle le document humain. Les plus personnels des roman- ciers contemporains « qui ont apporté dans la chasse et l’em- ploi du document l’art le plus subtil et le plus puissant, sont assurément les frères de Goncourt ». Puis, procédant à peu près de la mème façon, M. Emile Zola, « avec une nature plus forte, plus large, plus passionnée et moins raffinée », M. Al- phonse Daudet,« avec une nature plus droite, plus ingénieuse, délicieusement fine et moins sincère peut-être », et quelques hommes plus jeunes comme M. Paul Bourget. A côté de ces écrivains, il y a ceux qui «’ne regardent plus qu’en eux-mèmes, observent uniquement leur âme, leur cœur, leurs défauts et proclament que le roman définitif ne doit être qu’une autobio- graphie ». Ces derniers, Guy de Maupassant ne semble guère les avoir aimés. « Leur tendance, écrit :l, n’est-elle pas une preuve de l’impuissance à vubserver, à absorber la vie éparse