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le tueur de grenouilles

tant ? Alors, quoi ? Plus souvent qu’il ira leur fournir des explications sur ses coups de fusil personnels ? Il découvre un biais. Au lieu de tuer des lapins ou des gens, il pêchera, voilà tout. Le principal est de demeurer libre. Et en songeant à ce qu’il pêchera, il rit silencieusement…

… Car elles chantent toujours, les gueuses ! Dès la tombée de la nuit, on les entend jacasser, coasser, du fond de toutes les mares de la forêt, les mares entourant sa maison, les belles mares, coupes de cristal glauque débordant des mousses, pleines d’une liqueur mystérieuse où se mélange à dose égale le poison des feuilles pourries de l’automne et le plus pur miel des fleurs du printemps, des iris bleus, des nymphéas, des sagittaires roses et des pervenches, de sombres pervenches qui se tressent en nattes pour enlacer les jambes des traqueurs de bêtes.

Oui, oui, elles murmuraient, les gueuses, imploraient, criaient leur douleur éternelle de se chercher un roi, et, tout en formant des rondes immondes, luisantes du plaisir d’être stupides très haut, elles l’importunaient de leurs sinistres vociférations. De tous les coins du bois, les soirs d’été, s’élevait un concert de malédictions retombant en averse de longs sanglots sur le front de l’orphelin.

Ah ! oui qu’il le savait bien ce qu’il pêcherait ! Puisqu’il faut tuer pour vivre, il vaut mieux tuer sans bruit et que la mort que l’on donne serve à étouffer tout le bruit. Ce qu’il éprouverait de joies à cueillir ces fleurs vivantes des mares troubles, écloses en gueules de folles… qu’il fermerait une à une.

Revenant de la ville, le petit Toniot se sentait désormais un grand Toniot, un peu plus farouche