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le tueur de grenouilles

bouche. Elle fait aller ses jambes et ses bras en des mouvements nerveux imitant ceux de tout à l’heure, tellement les douleurs de l’agonie ressemblent aux joies de la volupté.

Puis elle serre les mâchoires.

La grande grenouille blanche ne chantera plus.

*

Il est resté tout seul, assez content de lui. Ses journées se passent à guetter des bêtes. Les gendarmes, en lui prenant son père, lui ont laissé le fusil. Sa mère est enterrée très loin. Les bonnes femmes qui s’étaient précipitées, grosses mouches bourdonnantes, pour lui offrir des œufs, du lait, des consolations, s’apitoyer sur sa misère d’orphelin, se sont enfuies parce qu’il leur a témoigné un peu brutalement son horreur des personnes bavardes. Il fait son petit ménage, secoue son drap, trempe sa soupe. Il a de la place, on a presque tout vendu selon la justice, et quand le curé s’amène, l’air bénisseur, Toniot fiche le camp par la cheminée après avoir verrouillé sa porte. Ah ! mais non, il est le maître chez lui, et ce n’est plus un enfant du catéchisme !

Ayant la chance de ne plus rien devoir à personne sur la terre, il lui paraît inutile de tolérer les menaces du ciel. (D’ailleurs, dès qu’il pleut, il va se coucher, ça lui économise toujours au moins un repas !)

Cependant, les saisons changent. Il faudra qu’il aille chercher les hardes de son père, à la prison, car son pantalon de gamin ne veut pas grandir avec lui. Et il fabrique d’abord deux paniers de jonc, se souvenant de l’équipage que l’on étalait pour se rendre en ville… et y dissimuler deux