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MERCURE DE FRANCE—VII-1900

— De quoi, garçon, c’est-y que t’es malade ?

— Non, c’est la mère, faut y aller. Lève-t’y tout de suite, papa.

Il a dit papa comme lorsqu’il était enfantelet, point capable d’une mauvaise action.

Et le père se lève, s’ébroue, renâcle :

— De quoi encore ? Quoi qu’elle a, la garce ?

— On vole nos oignons, je crois ben ! ajoute le petit Toniot, le ton aussi bas que le front, pris de dégoût devant l’inexplicable crime qu’il explique autant qu’il peut.

— Nom de Dieu !

Et le père a décroché le fusil.

— C’est le vendeur de fil, hein ?

— Je sais pas ! Y a un homme.

— Moi, je sais. Reste ici.

Le petit demeure. Ce n’est plus son affaire. Le père connaît son métier.

Et il va se recoucher, le petit Toniot, tout en se bouchant les oreilles. Il entend tout de même : deux coups, toujours au dedans de lui, dans le tréfonds de son être où s’est à jamais peinte la vision de la grande grenouille blanche, de Madame la Lune vautrée par terre sous un nuage inconnu. Il perçoit un cri, deux cris… et il se débouche les oreilles. Ses dents claquent. Qu’est-il arrivé, mon Dieu ? Est-ce qu’elle va revenir furieuse pour le tuer sous ses poings ?

Elle revient, en effet, traînée par le grand Toniot qui la tient aux cheveux.

— P’tit, dit le père d’une voix rauque où semble gémir toute la terre en peine, j’te rapporte de la viande !

La grande grenouille blanche est zébrée sur les cuisses des jets de sang qui lui jaillissent de la