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MERCURE DE FRANCE—VII-1900

mâle puant relégué par une femelle devenue extrêmement délicate depuis qu’elle avait envie d’une robe et ne supportait plus le contact irritant d’une chemise sur sa peau brûlante…

Hélas ! le petit Toniot a la fièvre, maintenant, il ne dort pas. Son tour est venu de chasser la grosse bête. Il flaire, il écoute dans le noir. Il se tourne et se retourne doucement sur la bruyère sèche de peur de faire du bruit. Toutes les nuits il attend quelque chose. Quelque chose ou quelqu’un. Il ne sait pas au juste. L’index du silence lui fouille le cerveau. Il a calculé que c’est de huit jours en huit jours qu’on entend la terre se plaindre. Gémissements sourds d’une poitrine sur laquelle on pose le genou, profond tressaillement de révolte qui s’éteint en un discret signal, comme la toux d’une très vieille personne sage ; et le cœur de la terre bat dans la poitrine du petit fauve aux aguets, qui se lève enfin, regarde droit devant lui, les narines humant la piste.

D’un souple mouvement de couleuvre, le petit Toniot a gagné la porte sans examiner le lit de sa mère. Il comprend bien que Madame la Lune est sortie. Ce qui demeure là, c’est la chemise de toile évanouie sur la couverture brune, le linceul de celle qui est morte en le mettant au monde une seconde fois sous les coups de ses poings puissants.

Ah ! elle l’a fait homme cette nuit de malheur, et il a bien senti qu’il devenait son ennemi pour toujours.

En chasse !

Et il se glisse dehors dans une clarté bleue très douce qui le baigne, le caresse, l’ondoie de courage. La lune est cachée du côté de la mare où chantent les grenouilles. Oui, la lune est là-bas sur les pre-