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le tueur de grenouilles

Ce fut comme si la lune sortait enfin de chez eux. Tout redevint sombre et Toniot respira.

*

Le grand Toniot était maigre, sale. Il avait la mine triste d’un loup qui s’égueule, se ronge lui-même faute de mieux. Son pantalon de toile bise, devenu vert à cause de ses longs frottements sur les mousses de la forêt et les herbes des talus, glissait lamentablement de ses hanches d’échalas, laissant voir entre sa ceinture et une courte veste rapiécée une belle lanière de cuir fauve qui était la peau même de son propriétaire. (Le petit Toniot, pour imiter son père, se dessinait une pareille lanière au moyen d’une ligature, et il serrait sa ficelle jusqu’au sang afin d’établir nettement la démarcation.) Cet homme ne parlait point. Il tuait des bêtes, taupier de son état. Il tendait des pièges aux renards, aux fouines, aux rats, aux poissons, surtout au gibier, et, comme il n’avait pas de permis de chasse, il prenait quelques précautions, telles que taupes ostensiblement pendues dans le dos de sa veste, en enseigne évidente, et souvent pourries depuis des semaines.

Il avait eu sa maison d’héritage, échoué dans cette clairière de bois comme un naufragé dans une île déserte ; il y vivait simplement, attrapant tout ce qui pouvait se dévorer : la femme et le petit n’en pouvaient demander davantage, puisque les gendarmes ne s’en mêlaient point. De temps en temps, il allait vers une ville voisine, très lointaine, vendre quelques paniers de joncs. Sur cinq, il en rapportait toujours un soigneusement rempli de crottin de cheval, histoire de chauffer un peu les légumes du jardin. Il achetait aussi