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cieuses, et l’écho de mes pas se répercutait de façade en façade. Au bout de la rue, près de la grille d’entrée du parc, un spectacle inattendu frappa mes regards — un omnibus renversé et un squelette de cheval absolument décharné. Je m’arrêtai un instant, surpris, puis je continuai jusqu’au pont de la Serpentine. La voix devenait de plus en plus forte, bien que je ne pusse voir, par-dessus les maisons, du côté nord du parc, autre chose qu’une brume enfumée.

— Oulla, oulla, oulla, oulla, pleurait la voix qui venait, me semblait-il, des environs de Regent’s Park. Ce cri navrant agit bientôt sur mon esprit, et la surexcitation qui m’avait soutenu passa ; cette lamentation s’empara de tout mon être et je me sentis absolument épuisé, les pieds endoloris, et de nouveau, maintenant, torturé par la faim et la soif.

Il devait être plus de midi. Pourquoi errais-je seul dans cette cité morte ? Pourquoi vivais-je seul quand tout Londres, enveloppé d’un noir suaire, était prêt à être inhumé ? Ma solitude me parut intolérable. Des souvenirs me revinrent d’amis que j’avais oubliés depuis des années. Je pensai aux poisons que contenaient les boutiques des pharmaciens et aux liqueurs accumulées dans les caves des marchands. Je me rappelai les deux êtres de désespoir, qui, autant que je le supposais, partageaient la ville avec moi.

J’arrivai dans Oxford Street par Marble Arch ; là de nouveau, je trouvai la poussière noire et des cadavres épars ; de plus, une odeur mauvaise et de sinistre augure montait des soupiraux des caves de certaines maisons. Pendant cette longue course, la chaleur m’avait grandement altéré et, après beaucoup de peine, je réussis à m’introduire dans une