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J’avais des doutes : vous êtes maigre et élancé. Je ne savais pas que c’était vous et j’ignorais que vous aviez été enterré. Tous les gens qui habitaient ces maisons et tous ces maudits petits employés qui vivaient dans ces banlieues — tous ceux-là ne sont bons à rien. Ils n’ont ni vigueur, ni courage, — ni belles idées, ni grands désirs ; et Seigneur ! un homme qui n’a pas tout cela peut-il faire autre chose que trembler et se cacher ? Tous les matins, ils se trimballaient vers leur ouvrage — je les ai vus, par centaines, — emportant leur déjeuner, s’essoufflant à courir, pour prendre les trains d’abonnés, avec la peur d’être renvoyés s’ils arrivaient en retard ; ils peinaient sur des ouvrages qu’ils ne prenaient pas même la peine de comprendre ; le soir, du même train-train, ils retournaient chez eux avec la crainte d’être en retard pour dîner ; n’osant pas sortir, après leur repas, par peur des rues désertes ; dormant avec des femmes qu’ils épousaient, non parce qu’ils avaient besoin d’elles, mais parce qu’elles avaient un peu d’argent qui leur garantissait une misérable petite existence à travers le monde ; ils assuraient leurs vies, et mettaient quelques sous de côté par peur de la maladie ou des accidents ; et le dimanche — c’était la peur de l’au-delà, comme si l’enfer était pour les lapins ! Pour ces gens-là, les Marsiens seront une bénédiction : de jolies cages spacieuses, de la nourriture à discrétion ; un élevage soigné et pas de soucis. Après une semaine ou deux de vagabondage à travers champs, le ventre vide, ils reviendront et se laisseront prendre volontiers. Au bout de peu de temps, ils seront entièrement satisfaits. Ils se demanderont ce que les gens pouvaient bien faire avant qu’il y ait eu des Marsiens pour prendre soin