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sant les meilleurs et les mettant en réserve dans des cages et des enclos aménagés dans ce dessein. C’est là ce qu’ils vont entreprendre avant longtemps. Car, comprenez-vous ? ils n’ont encore rien commencé, en somme.

— Rien commencé ! m’écriai-je.

— Non, rien ! Tout ce qui est arrivé jusqu’ici, c’est parce que nous n’avons pas eu l’esprit de nous tenir tranquilles, au lieu de les tracasser avec nos canons et autres sottises ; c’est parce qu’on a perdu la tête et qu’on a fui en masse, alors qu’il n’était pas plus dangereux de rester où l’on était. Ils ne veulent pas encore s’occuper de nous. Ils fabriquent leurs choses, toutes les choses qu’ils n’ont pu apporter avec eux, et ils préparent tout pour ceux qui vont bientôt venir. C’est probablement à cause de cela qu’il ne tombe plus de cylindres pour le moment, et de peur d’atteindre ceux qui sont déjà ici. Au lieu de courir partout à l’aveuglette, en hurlant, et d’essayer vainement de les faire sauter à la dynamite, nous devons tâcher de nous accommoder du nouvel état de choses. C’est là l’idée que j’en ai. Ça n’est pas absolument conforme à ce que l’homme peut ambitionner pour son espèce, mais ça peut s’accorder avec les faits, et c’est le principe d’après lequel j’agis. Les villes, les nations, la civilisation, le progrès — tout ça, c’est fini. La farce est jouée. Nous sommes battus.

— Mais s’il en est ainsi, à quoi sert-il de vivre ?

L’artilleur me considéra un moment.

— C’est évident, dit-il. Pendant un million d’années ou de vie, il n’y aura plus ni concerts, ni salons de peinture, ni parties fines au restaurant. Si c’est de l’amusement qu’il vous faut, je crains bien que vous n’en manquiez. Si vous avez des manières