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Tout à coup, me revinrent à l’esprit les détails de la nuit que j’avais passée dans l’observatoire.

— Après le dixième coup, ils n’ont plus tiré — du moins jusqu’à l’arrivée du premier cylindre.

Je lui donnai des explications et il se mit à réfléchir.

— Quelque chose de dérangé dans leur canon, dit-il. Mais qu’est-ce que ça peut faire ? Ils sauront bien le réparer, et quand bien même il y aurait un retard quelconque, est-ce que ça pourrait changer la fin ? C’est comme les hommes avec les fourmis. À un endroit, les fourmis installent leurs cités et leurs galeries ; elles y vivent, elles font des guerres et des révolutions, jusqu’au moment où les hommes les trouvent sur leur chemin, et ils en débarrassent le passage. C’est ce qui se produit maintenant – nous ne sommes que des fourmis. Seulement…

— Eh bien ?

— Eh bien, nous sommes des fourmis comestibles.

Nous restâmes un instant là, assis, sans rien nous dire.

— Et que vont-ils faire de nous ? questionnai-je.

— C’est ce que je me demande, dit-il ; c’est bien ce que je me demande. Après l’affaire de Weybridge, je m’en allai vers le sud, tout perplexe. Je vis ce qui se passait. Tout le monde s’agitait et braillait ferme. Moi, je n’ai guère de goût pour le remue-ménage. J’ai vu la mort de près une fois ou deux ; ma foi, je ne suis pas un soldat de parade, et, au pire et au mieux, la mort, c’est la mort. Il n’y a que celui qui garde son sang-froid qui s’en tire. Je vis que tout le monde s’en allait vers le sud, et je me dis : De ce côté-là, on ne mangera plus avant qu’il soit longtemps, et je fis carrément volte-face. Je suivis