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mier abord je ne le reconnus pas. De plus, une balafre récente lui coupait le bas du visage.

— Halte ! cria-t-il quand je fus à dix mètres de lui.

Je m’arrêtai. Sa voix était rauque.

— D’où venez-vous ? demanda-t-il.

Je réfléchis un instant, l’examinant avec attention.

— Je viens de Mortlake, répondis-je. Je me suis trouvé enterré auprès de la fosse que les Marsiens ont creusée autour de leur cylindre, et j’ai fini par m’échapper.

— Il n’y a rien à manger par ici, dit-il. Ce coin m’appartient, toute la colline jusqu’à la rivière, et là-bas jusqu’à Clapham, et ici jusqu’à l’entrée des communaux. Il n’y a de la nourriture que pour un seul. De quel côté allez-vous ?

Je répondis lentement.

— Je ne sais pas… Je suis resté sous les ruines d’une maison pendant treize ou quatorze jours, et je ne sais rien de ce qui est arrivé pendant ce temps-là.

Il m’écoutait avec un air de doute ; tout à coup, il eut un sursaut et son expression changea.

— Je n’ai pas envie de m’attarder ici, dis-je. Je pense aller à Leatherhead pour tâcher d’y retrouver ma femme.

— C’est bien vous, dit-il en étendant le bras vers moi. C’est vous qui habitiez à Woking. Vous n’avez pas été tué à Weybridge ?

Je le reconnus au même moment.

— Vous êtes l’artilleur qui se cachait dans mon jardin…

— En voilà une chance ! dit-il. C’est tout de même drôle que ce soit vous.