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la guerre des mondes


LA
GUERRE DES MONDES
Suite[1]



vi

L’OUVRAGE DE QUINZE JOURS


Pendant un long moment, je restai debout, les jambes vacillantes sur le monticule, me souciant peu de savoir si j’étais en sûreté. Dans l’infect repaire d’où je sortais, toutes mes pensées avaient convergé sur notre sécurité immédiate. Je n’avais pu me rendre compte de ce qui se passait au-dehors, dans le monde, et je ne m’attendais guère à cet effrayant et peu ordinaire spectacle. Je croyais retrouver Sheen en ruine et je contemplais une contrée sinistre et lugubre qui semblait appartenir à une autre planète.

Je ressentis alors une émotion des plus rares, une émotion cependant que connaissent trop bien les pauvres animaux sur lesquels s’étend notre domination. J’eus l’impression qu’aurait un lapin qui, à la place de son terrier, trouverait tout à coup une douzaine de terrassiers creusant les fondations d’une maison. Un premier indice qui se précisa bientôt m’oppressa pendant de nombreux jours, et j’eus la révélation de mon détrônement, la conviction que je n’étais plus un maître, mais un animal parmi les animaux sous le talon des Marsiens. Il en serait de nous comme il en est d’eux ; il nous

  1. Voy. Mercure de France, nos 120, 121, 122.