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période où une morale émane d’elles. Cela établirait simplement que le savant ne doit point rechercher le phénomène moral en cette période du développement humain. Peut-être en faudrait-il conclure aussi que les intelligences situées à un point de vue de pure connaissance n’ont pas besoin d’une morale en dehors de cette attitude esthétique où on les a vues se complaire à un détour de la philosophie de Nietzsche. Il n’en resterait pas moins établi par la philosophie de la Connaissance que le phénomène moral existe et que les activités lui donnent naissance dans des conditions déterminées, sous des formes diverses et successives.

§

Est-il acquis toutefois que la philosophie de la Connaissance exclue chez ceux qui la possèdent toute action moralisatrice sur le groupe auquel ils appartiennent, sur le groupe qui a favorisé et permis leur croissance. « Tout est nécessité, dit Nietzsche, ainsi parle la science nouvelle, et cette science elle- même est nécessaire[1]. » Or, la philosophie de la Connaissance, production dernière et la plus raffinée d’une physiologie, engendre nécessairement à son tour ces esprits libres qui, entièrement dégagés du préjugé religieux de la Vérité, considèrent la morale comme une science d’observation et le phénomène moral comme un phénomène d’utilité. Aux époques de civilisation avancée, alors que la religion particulière à une société voit diminuer son pouvoir d’illusionner, alors que la coutume se voit contester son empire, alors que le goût étranger menace d’altérer par l’invasion de son art et de sa littéra-

  1. Humain, trop humain, p. 132.