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A mesure que les vertus morales d’une société se transposent dans la coutume, il semble donc utile que la religion qui prescrivait ces vertus voie diminuer son pouvoir effectif. En fait, d’ailleurs, il en est ainsi et c’est également une loi physique qu’un corps perde sa chaleur dans la mesure où il la communique à un autre.

Ainsi que Carlyle l’a fort bien senti, lorsqu’un groupe social a dépassé l’époque où il est apte à produire le phénomène religieux, le principe moral qu’il renferme encore s’objective d’une part dans la coutume ; il s’exprime et se traduit aussi dans l’œuvre littéraire : sans l’entremise d’aucune fiction, une sensibilité, forte et nationale, interprète d’une façon supérieure l’idéal communaux individus d’un même groupe ; à la manière d’une suggestion dans un milieu propice, elle agit directement sur d’autres sensibilités parentes, pour les fortifier, les exalter ou les affiner.

Donc, les morales existent. Loin que la philosophie de la Connaissance les conteste, elle les tient pour des réalités physiologiques essentielles et les montre se manifestant tour à tour, aux divers âges d’un groupe social et d’une façon concrète, dans la religion, la coutume et la littérature. Mais comme toute chose vivante, la morale est spontanée ; elle se développe, en dehors de toute intervention préméditée de l’esprit humain et la philosophie de la Connaissance lui reconnaît ce caractère aux moralistes volontaires qui lui reprochent de ne pouvoir fonder une morale sur ses propres principes, elle répond qu’elle ne revendique pas ce rôle s’il ne lui est pas destiné. Il est possible qu’à l’époque où elles parviennent à la philosophie de la Connaissance les intelligences des hommes aient dépassé la