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en même temps les attitudes qu’elle ordonnait, enregistrées maintenant par l’atavisme, deviennent chez les individus des dispositions naturelles. Lorsque ces vertus sont devenues natives, il serait dangereux sans doute qu’elles fussent commandées avec la rigueur d’antan : car aucune de ces vertus n’est bonne en soi et d’une façon absolue. Elles ne valent que pour s’opposer à une tendance contraire dont l’exagération serait nuisible à l’organisme social et irait au gaspillage de sa force. C’est ainsi que la chasteté absolue pratiquée par un groupe humain mettrait ce groupe en péril de mourir ; mais, prescrire la chasteté à des tempéraments trop emportés vers la volupté, c’est seulement les garantir contre un épuisement prématuré, et c’est aussi rendre possibles entre les hommes des associations dont la lutte trop ardente pour la possession des femmes irait à compromettre l’existence. La religion, a-t-on constaté précédemment, n’a d’autre valeur que celle d’un frein, il est bon que le frein se proportionne à l’impulsion de la force dont il a pour but de régulariser l’exercice ; il est bon que ce frein s’use et perde de sa rigueur à mesure que de soi-même s’adapte et se restreint à sa tâche utile la force d’impulsion dont il devait régler l’élan. Il en est de l’esprit de renoncement comme il en est de la chasteté. Le renoncement n’est pas bon en soi pour la Vie ; il n’a de valeur que dans la limite où il empêche l’égoïsme de courir à sa propre perte, soit, parmi un groupe social, dans la mesure où il est nécessaire pour permettre aux individus du groupe de se coordonner. Mais s’il dépasse cette limite, il va mettre ce groupe en état d’infériorité vis-à-vis des sociétés voisines où règne un moindre esprit de renoncement.