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peut être l’objet d’une science d’observation et il y a lieu de se préoccuper de son essence, de son origine, des conditions de son existence, de ses différents types, des modes de son évolution.

Dans cet ordre d’idées, on remarque que toute société humaine, passée l’époque de la pure spontanéité, se commande à quelque moment de son évolution une série de prescriptions propres à entretenir sa santé et sa force ; que l’ensemble de ces prescriptions diffère d’une société à une autre, mais qu’il ne fait entièrement défaut à aucune et qu’il est partout la première manifestation du fait moral. On définit donc une morale une attitude d’utilité particulière à une physiologie donnée. Il en faut déduire aussitôt qu’il n’existe point de morale qui n’ait pour racine une physiologie déterminée, individuelle ou ethnique.

On remarque ensuite que toute activité sociale qui formule sa morale engendre en même temps les mensonges nécessaires pour la rendre efficace. Les plus habituels de ces mensonges sont la croyance que la morale propre à la race est supérieure à toutes les autres races, — la présomption étant un attribut de tout ce qui est vivant, — puis, la croyance au libre arbitre et à la responsabilité qui en découle. Une philosophie qui tient le non-vrai pour une condition de vie n’a pas lieu de s’étonner lorsqu’elle voit la Vie engendrer des fictions. Pour apprécier ces fictions et juger de leur valeur, elle s’inquiète seulement, a-t-on dit, de rechercher si elles ont le pouvoir d’illusionner et à quel point. L’imagination d’un souverain bien, la croyance à la liberté dont la philosophie de la Connaissance a établi le caractère illusoire, alors qu’un faux rationalisme s’efforçait de les imposer comme des vérités,