Page:Mercure de France - 1900 - Tome 33.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tit qu’il excite. Elle est, selon l’expression de Nietzsche, « le poids, la balance et le peseur ». La Connaissance ne fait donc rien de plus qu’interpréter, selon la forme de ses lois, ce que l’Être livre de lui-même dans la sensation, et ces lois, situant l’objet de la sensation dans le temps et dans l’es- pace, le soumettant au mécanisme de la causalité, ont précisément pour effet, respectueuses du mystère où l’Etre se dérobe, de soustraire l’objet et le désir qu’il entraîne à toute détermination et à toute construction définitives ; elles ont pour effet de rendre à jamais insaisissables dans son entier, dans son principe et dans sa fin, l’objet et le désir qu’elles dispersent, par le geste même par lequel elles les étreignent, dans le monde de la diversité irréductible à l’identique. Impuissante à saisir l’Etre en sa totalité dans la sensation, à plus forte raison la Connaissance est-elle impuissante à le susciter, à le façonner, à exercer sur lui une action impérative. Car elle ne possède aucun de ces pouvoirs sur la sensation où l’Etre se laisse entrevoir selon qu’il lui convient : elle ne la crée ni ne la détermine en quantité ou en qualité.

Tandis que le monde de la Connaissance relève expressément du concept de Vérité, le monde de l’Etre ne souffre donc jamais l’application de ce concept. C’est pour marquer fortement cette différence que Nietzsche a donné pour condition à l’Etre le non-vrai. Aussi faut-il entendre par le non-vrai tout le contenu de la Connaissance par opposition à sa forme. Le non-vrai c’est ce qui ne supporte aucune explication intégrale, ce qui se dérobe à tout pourquoi et c’est aussi tout le réel, c’est la sensation dans son essence intangible, c’est l’objet, le goût, la vision, le désir, tout ce qui emporte