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iv

LA MORT DU VICAIRE


Le sixième jour, j’occupai pour la dernière fois notre poste d’observation où bientôt je me trouvai seul. Au lieu de rester comme d’habitude auprès de moi et de me disputer la lucarne, le vicaire était retourné dans la laverie. Une pensée soudaine me frappa. Vivement et sans bruit je traversai la cuisine : dans l’obscurité je l’entendis qui buvait. J’étendis le bras et mes doigts saisirent une bouteille de vin.

Il y eut, dans ces ténèbres une lutte qui dura quelques instants. La bouteille tomba et se brisa. Je lâchai prise et me relevai. Nous restâmes immobiles, palpitants, nous menaçant à voix basse. À la fin, je me plantai entre lui et la nourriture, lui faisant part de ma résolution d’établir une discipline. Je divisai les provisions de l’office en rations qui devaient durer dix jours. Je ne voulus pas le laisser manger plus ce jour-là. Dans l’après-midi, il tenta de s’emparer de quelque ration ; je m’étais assoupi, mais à ce moment je m’éveillai. Pendant tout un jour nous demeurâmes face à face, moi las mais résolu, lui, pleurnichant et se plaignant de la faim. Cela ne dura, j’en suis sûr, qu’un jour et qu’une nuit, mais il me sembla alors, et il me semble encore maintenant, que ce fut d’une longueur interminable.

Ainsi notre incompatibilité s’était accrue au point de se terminer en un conflit déclaré. Pendant deux longs jours nous nous querellâmes à voix basse, argumentant et discutant âprement. Parfois, j’étais obligé de le frapper follement du pied et des poings ; d’autres fois je le cajolais et tâchais de le convaincre ; j’essayai même de le persuader en lui laissant