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la guerre des mondes

glissâmes hors des pièces trempées et que nous jetâmes un regard au dehors, il sembla qu’une tourmente de neige noire avait passé sur la contrée vers le nord. Tournant nos yeux vers le fleuve, nous fûmes surpris de voir d’inexplicables rougeurs se mêler aux taches noires des prairies desséchées.

Pendant un moment nous ne sûmes nous rendre compte du changement apporté à notre position, sinon que nous étions délivrés de notre crainte de la Fumée Noire. Bientôt je m’aperçus que nous n’étions plus cernés, que maintenant nous pourrions nous en aller. Aussitôt que je fus sûr qu’il y avait moyen de s’échapper, mon désir d’activité revint. Mais le vicaire restait léthargique et déraisonnable.

— Ici, nous sommes en sûreté, répétait-il ; en sûreté, en sûreté !

Je résolus de l’abandonner — que ne l’ai-je fait ! Plus sage maintenant et profitant de la leçon de l’artilleur, je cherchai à me munir de nourriture et de boisson. J’avais trouvé de l’huile et des chiffons pour mes brûlures ; je pris aussi un chapeau et une chemise de flanelle que je découvris dans l’une des chambres à coucher. Quand le vicaire comprit que j’allais partir seul, que j’étais décidé à m’en aller sans lui, il se leva soudain pour me suivre. Et tout étant calme dans l’après-midi, nous nous mîmes en route vers cinq heures, autant que je peux le présumer, nous dirigeant vers Sunbury, au long du chemin tout noirci.

Dans Sunbury, et par intervalles sur la route, nous rencontrâmes des cadavres de chevaux et d’hommes, gisant en attitudes contorsionnées, des charrettes et des bagages renversés et couverts