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mercvre de france—ii-1900

d’œil et à se décider promptement. Ce qu’il fallait maintenant, ce n’était pas de là bravoure, mais de la réflexion et de la prudence. Ma seule consolation était de savoir que les Marsiens s’avançaient vers Londres et ainsi s’éloignaient d’elle. Toutes ces vagues craintes me surexcitaient l’esprit. Bientôt je me sentis fatigué et irrité des perpétuelles jérémiades du vicaire. Son égoïste désespoir m’impatientait. Après quelques remontrances sans effet, je me tins éloigné de lui dans une pièce qui contenait des globes, des bancs et des tables, des cahiers et des livres et qui était évidemment une salle de classe. Quand enfin il vint m’y rejoindre je montai au sommet de la maison et m’enfermai dans un débarras afin de rester seul avec mes pensées douloureuses et mes misères.

Pendant toute cette journée et le matin suivant, nous fûmes absolument cernés par la Fumée Noire. Le dimanche soir nous eûmes des indices que la maison voisine était habitée : une figure derrière une fenêtre, des lumières allant et venant, le claquement d’une porte qu’on fermait. Mais je ne sus qui étaient ces gens ni ce qui advint d’eux. Nous ne les aperçûmes plus le lendemain. La Fumée Noire descendit, en flottant lentement, vers la rivière, pendant toute la matinée du lundi, passant de plus en plus près de nous, et disparaissant enfin sans s’avancer au delà de la route devant la maison où nous étions réfugiés.

Vers midi, un Marsien parut au milieu des champs, déblayant l’atmosphère avec un jet de vapeur surchauffée qui sifflait contre les murs, brisait toutes les vitres qu’il touchait et brûla les mains du vicaire au moment où il quittait précipitamment la pièce de devant. Quand enfin nous nous