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MERCVRE DE FRANCE—II-1900

de la faiblesse de cet enfant. Laissons, et le mal s’en ira seul. »

Nous laissâmes. La résignation des pauvres gens s’étend sous le ciel comme une bête blessée et regarde doucement les choses dont elle ne peut point jouir.

Auprès du médecin, mon mal s’accrut, parce que c’était dans ma destinée. Il aurait fallu une opération chirurgicale, mais nous n’en voulions à personne en pensant que nous étions de pauvres gens. Les ouvriers savent que la vie est pénible puisqu’il faut travailler chaque jour, et les maladies leur montrent qu’elle est plus pénible encore puisqu’on ne conserve pas toujours cette vie pour laquelle on a travaillé. Les médecins sont riches et leur fortune les éloigne de nous. Ils passent en voiture, leur regard s’arrête à peine sur nos humbles maisons et leur esprit les considère un instant, puis s’en va. Nous restons penchés sur nos besognes et nous acceptons les lois naturelles : le travail, les maux et la richesse. Nous disons simplement : Nous n’avons pas de chance. Et c’est la formule dernière de nos cerveaux, grâce à laquelle nous pourrions vivre dans le malheur éternel.

Il arriva que le dernier morceau d’os sortit de ma mâchoire. Je fus guéri, et nous en étions étonnés.

CHARLES-LOUIS PHILIPPE.