Page:Mercure de France - 1900 - Tome 33.djvu/372

Cette page a été validée par deux contributeurs.
373
L’ENFANT MALADE

nous conduit. Le Destin nous conduisait encore au cabinet du médecin. Maman le suivait, égale et forte comme les forces qui nous poussaient et le suivait jusqu’au bout en me traînant par la main. Je m’en allais avec des petits pas de laine et la tête baissée, et je sentais en moi toutes les défaillances d’un vaincu : « Aie du courage, mon petit enfant. Les médecins qui nous enlèvent nos os ne nous font pas souffrir longtemps. Et puis je t’achèterai des biscuits. Tu les mangeras avec du vin, et tu sais qu’ils sont bons comme des bonbons et qu’ils fortifient le cœur des enfants malades. »

Une autre fois, elle me dit : « Si tu es bien sage et que tu ne cries pas, je t’achèterai un crayon rouge et bleu. » Un crayon rouge et bleu, je voulais le gagner, parce qu’il sert à composer de beaux dessins. Ce jour-là le médecin aurait pu m’enlever bien des os sans me faire crier. Un crayon rouge et bleu possède une grande puissance à cause de ses deux couleurs qui rappellent l’uniforme des soldats. Je le voyais devant mes yeux doué d’une grande beauté. Il faut souffrir pour le posséder, mais la possession en est si bonne qu’il semble qu’on ne pourra plus mourir.

Le médecin dut faire un voyage à Paris. Avant de partir il nous dit : « Je vais emporter un des petits os que nous avons arrachés pour le montrer à l’un de mes anciens professeurs. » Et quand il revint, voici ce qu’il nous apprit : « C’est bien une carie d’os, comme je l’avais dit. Il aurait fallu pratiquer une opération et gratter la partie malade, mais nous ne le pouvons plus maintenant à cause