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MERCVRE DE FRANCE—II-1900

maux gagnent de proche en proche avec la mort pour but. On comprend que l’humanité est faite pour les maux lorsqu’on voit leur naissance et leur développement. Un os de ma mâchoire sort par ma bouche et nous nous demandions si tous les os de ma tête n’allaient pas sortir par le même endroit.

Ah ! les semaines qui suivirent ! Je sentais ma mâchoire en travail qui se désagrégeait seconde par seconde comme le temps se désagrège et avec cette assurance égale que donnent les grandes forces. Voilà ce que je croyais sentir. Lorsque mon sang avait un peu plus de vie, alors qu’un peu de calme semblait revenir, cela accélérait encore la vitesse du mal. C’est une marche vers la mort. Dieu parfois la rend agréable et rapide, mais c’est afin de mieux nous tromper, pour que nous arrivions plus tôt à sa fin. Et j’étais un pauvre enfant plié. Je m’asseyais sur ma chaise, je me couchais dans mon lit, j’étendais mes bras en croix comme l’autre, qui avait tant souffert, et je n’aurais pas voulu souffrir, et je n’aurais pas voulu mourir.

Les actions de la vie me semblaient superflues. Ah ! c’est la fin de l’été et c’est un peu de l’automne, et il y a un beau soleil blanc dans le ciel bleu. Que m’importaient ces choses ! Et que m’importaient le travail, les paroles et les visites du médecin ! Mes idées habitaient deux trous de ma joue auprès des os de ma mâchoire, dans un pays où l’on ne vit plus qu’une vie maigre et pourrie. Le monde est malsain, les médecins ne savent pas guérir les malades et le travail et les paroles sont superflus puisque l’on doit mourir.

Ma pauvre maman me prenait la main et m’entraînait. Il faut une grande persistance dans nos espoirs et suivre courageusement le Destin où il