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L’ENFANT MALADE

vous ne sentez rien parce que son travail ne s’est pas fait, mais bientôt, lorsqu’il a pénétré votre chair, toute votre chair se transforme, les humeurs, dissoutes, s’en vont et se perdent. Peut-être bien que la prochaine visite au médecin sera la visite de guérison.

Mais hélas ! espérances décevantes, belles espérances de mes jours qui m’avez trompé, je vous ai vues partir l’une après l’autre, comme les fleurs du jardin qui n’ont pas laissé de fruit. Vous étiez plusieurs à mes côtés. La première était la plus belle, elle est partie d’abord. Sa sœur était un peu moins belle et m’a quitté bientôt. La troisième était modeste et douce. Elle se tenait devant moi, et lorsqu’elle me regardait il brillait dans ses yeux un peu de mon âme. Je vois bien maintenant que celle-ci était la meilleure. Je lui tendais les mains et nous jouions ensemble à cache-cache derrière les bosquets où sont les plantes vertes et noires. Un jour elle s’est trop bien cachée et je n’ai jamais pu la découvrir.

Ah ! oui, nos caractères savent se plier ! Facultés d’assimilation : pauvres cerveaux et pauvres nerfs, vous en jouez de vos facultés d’assimilation pour vous habituer au malheur ! Quand les trois espérances eurent franchi mon seuil, je vécus côte à côte avec mon mal. Je vécus à côté de mon mal comme un homme à côté d’une personne qu’il connaît. C’est une mauvaise personne qui vous gronde et vous bat. Elle s’assied sur votre chaise, elle prend place à votre table, elle se couche dans votre lit, elle voudrait entrer dans vos pensées. Mais nous savons garder nos pensées des mauvaises personnes. Nous les enfermons au fond de nous-mêmes, là où sont nos sentiments les meilleurs. Elles vivent, elles se