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mercvre de france—i-1900

Il se remit debout et vit à tribord, à cent mètres à peine de leur bateau tanguant et roulant, une vaste lame d’acier qui, comme un soc de charrue, séparait les flots, les lançant de chaque côté, en d’énormes vagues écumeuses qui bondissaient contre le petit steamer, le soulevant, tandis que ses aubes tournaient à vide dans l’air, le laissant retomber au point de le submerger.

Une douche d’embrun aveugla mon frère pendant un instant. Quand il put rouvrir les yeux, le monstre était passé et courait à toute vitesse vers la terre. D’énormes tourelles d’acier se dressaient sur sa haute structure, d’où deux cheminées se projetaient, crachant un souffle de fumée et de feu dans l’air. Le cuirassé le Fulgurant venait à toute vapeur au secours des navires menacés.

Se cramponnant contre le bastingage pour se maintenir debout sur le pont malgré le tangage, mon frère porta de nouveau ses regards sur les Marsiens : il les vit tous trois rassemblés maintenant et tellement avancés dans la mer que leur triple support était entièrement submergé. Ainsi amoindris et vus dans cette lointaine perspective, ils paraissaient beaucoup moins formidables que l’immense masse d’acier dans le sillage de laquelle le petit steamer tanguait si péniblement. Les Marsiens semblaient considérer avec étonnement ce nouvel antagoniste. Peut-être que, dans leur esprit, le cuirassé leur semblait un géant pareil à eux. Le Fulgurant ne tira pas un coup de canon, mais s’avança seulement à toute vapeur contre eux : ce fut sans doute parce qu’il ne tira pas qu’il put s’approcher aussi près qu’il le fit de l’ennemi. Les Marsiens ne savaient que faire. Un coup de canon, et le Rayon Ardent eût envoyé immédiatement le cuirassé au fond de la mer.