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la guerre des mondes

vant l’expression de mon frère, à une épave à demi submergée. C’était le cuirassé le Fulgurant, le seul bâtiment de guerre en vue ; mais tout au loin, vers la droite, sur la surface plane de la mer, car c’était jour de calme plat, s’étendait une sorte de serpent de fumée noire, indiquant les cuirassés de l’escadre de la Manche, qui se tenaient sous vapeur en une longue ligne, prêts à l’action, barrant l’estuaire de la Tamise, pendant toute la durée de la conquête marsienne, vigilante, et cependant impuissante à rien empêcher.

À la vue de la mer, Mrs Elphinstone, malgré les assurances de sa belle-sœur, s’abandonna au désespoir. Elle n’avait encore jamais quitté l’Angleterre ; elle disait qu’elle aimerait mieux mourir plutôt que de se voir seule et sans amis dans un pays étranger, et autres sornettes de ce genre. La pauvre femme semblait s’imaginer que les Français et les Marsiens étaient de la même espèce. Pendant les voyages des deux derniers jours, elle était devenue de plus en plus nerveuse, apeurée et déprimée. Sa seule idée était de retourner à Stanmore. Il ne s’était jamais rien produit de tout cela à Stanmore. On retrouverait George à Stanmore…

Ils eurent les plus grandes difficultés à la faire descendre jusqu’à la plage, d’où bientôt mon frère réussit à attirer l’attention d’un steamer à aubes qui sortait de la Tamise. Une barque fut envoyée, qui les amena à bord à raison de trente-six livres (neuf cents francs) pour eux trois. Le steamer allait à Ostende, leur dit-on.

Il était près de deux heures lorsque mon frère, ayant payé le prix de leur passage, au passavant, se trouva sain et sauf, avec les deux femmes dont il avait pris la charge, sur le pont du steamboat. Ils