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la guerre des mondes

— Avancez ! avancez ! criaient des voix furieuses derrière eux. En avant ! en avant !

Il y eut un soudain craquement, comme le brancard d’une voiture heurtait le fiacre que l’homme à cheval avait arrêté. Mon frère tourna la tête, et l’homme aux pièces d’or, se tordant le cou, vint mordre le poignet qui le tenait. Il y eut un choc : le cheval du cavalier fut envoyé de ce côté, et le cheval de la voiture fut repoussé avec lui. Un de ses sabots manqua de près le pied de mon frère. Il lâcha prise et bondit en arrière. La colère se changea en terreur sur la figure du pauvre diable à terre, et mon frère, qui le perdit de vue, fut entraîné dans le courant au-delà de l’entrée du chemin et dut se débattre de toutes ses forces pour revenir.

Il vit Miss Elphinstone se couvrant les yeux de sa main, et un enfant, avec tout le manque de sympathie ordinaire à cet âge, contemplant avec des yeux dilatés un objet poussiéreux, noirâtre et immobile, écrasé et broyé sous les roues.

— Allons nous-en ! s’écria-t-il. Nous ne pouvons traverser cet enfer ; et il se mit en devoir de faire tourner la voiture. Ils s’éloignèrent d’une centaine de mètres dans la direction d’où ils étaient venus. Au tournant du chemin, mon frère vit dans le fossé, sous les troënes, le moribond affreusement pâle, la figure couverte de sueur, les traits tirés. Les deux femmes restaient silencieuses, blotties sur leur siège et frissonnantes. Au delà du tournant, mon frère s’arrêta de nouveau. Miss Elphinstone était blême et sa belle-sœur, effondrée, pleurait, dans un trop pitoyable état pour réclamer même son George. Mon frère était épouvanté et perplexe. À peine avaient-ils commencé leur retraite qu’il