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sens sous les pieds confondus des hommes et des chevaux. Le vieillard s’arrêta, considérant d’un œil stupide son tas d’or ; le brancard d’un cab, le frappant à l’épaule, l’envoya rouler à terre. Il poussa un cri, et une roue de camion effleura sa tête.

— En avant ! criaient les gens tout autour de lui. Faites de la place !

Aussitôt que le cab fut passé, il se jeta les mains ouvertes sur le tas de pièces d’or et se mit à les ramasser à pleines mains et à en bourrer ses poches. Au moment où il se relevait à demi, un cheval se câbra par-dessus lui et l’abattit sous ses sabots.

— Arrêtez ! cria mon frère, et, écartant une femme, il essaya d’empoigner la bride du cheval.

Avant qu’il n’ait pu y parvenir, il entendit un cri sous la voiture et vit dans la poussière la roue passer sur le dos du pauvre diable. Le cocher lança un coup de fouet à mon frère qui passa en courant derrière le véhicule. La multitude des cris l’assourdissait. L’homme se tordait dans la poussière sur son or épars, incapable de se relever, car la roue lui avait brisé les reins et ses membres inférieurs étaient insensibles et morts. Mon frère se redressa et hurla un ordre au cocher qui suivait ; un homme monté sur un cheval noir vint à son secours.

— Enlevez-le de là, dit-il.

Et mon frère, l’empoignant de sa main libre par le collet, traîna l’homme jusqu’au bord. Mais il tenait toujours son or et jetait à mon frère des regards courroucés, lui martelant le bras de son poing plein de monnaies.